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Story Publication logo December 13, 2023

Death Won’t Silence the Forest (French)

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An English summary of this report is below. The original report, published in French in Mediapart follows.


British journalist Dom Phillips had planned to visit Biraci Brasil Nixiwaka, chief of the Indigenous Yawanawa people in the Brazilian Amazon state of Acre. It was the last interview for his book "How to Save the Amazon," which he was never able to finish - he was brutally murdered a few weeks later.

Journalist Felipe Milanez conducted the interview with Biraci Brasil Nixiwaka and asked him about the future of the rainforest, the political consequences of demarcating Indigenous lands, and how Indigenous communities are organizing to guarantee sustainable development.


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La mort ne fera pas taire la forêt

Le journaliste britannique Dom Phillips avait prévu de rendre visite à Biraci Brasil Nixiwaka, chef du peuple indigène Yawanawa, dans l'État d'Acre, en Amazonie brésilienne. C’était la dernière interview pour son livre « How to Save the Amazon », qu'il n'a jamais pu terminer, il a été brutalement assassiné quelques semaines après. Dernière conversation.


Le journaliste britannique Dom Phillips avait prévu de rendre visite à Biraci Brasil Nixiwaka, chef du peuple indigène Yawanawa, dans l'État d'Acre, en Amazonie brésilienne. C’était la dernière interview pour son livre How to Save the Amazon, qu'il n'a jamais pu terminer, il a été brutalement assassiné quelques semaines après.

Il ne s'agit pas seulement d'un peuple autochtone de plus dans la forêt ou d'une interview de plus avec un chef indigène après des années de travail. Les Yawanawa, tout comme les Ashaninka, un autre peuple autochtone que Phillips avait visité au cours du même reportage, représentaient, aux yeux du journaliste, un espoir.

Dom m'avait demandé de faciliter le contact avec Nixiwaka, un ami de longue date avec lequel je développe un projet de recherche approfondi sur ses activités politiques dans les année 1980. À cet époque il dirigeait le mouvement indigène en Acre et organisait son peuple pour expulser les exploitants de caoutchouc de l'entreprise Paranacre et les religieux de la mission The New Tribes Mission Brasil.

La lutte des Yawanawa a abouti à la première démarcation des terres indigènes dans l'État de l’Acre en 1984, et Dom a voulu raconter cette histoire dans son livre. Dom voulait se pencher sur la trajectoire positive d'un peuple autochtone en défense de l’Amazonie et décrire les expériences qui fonctionnaient et pouvaient inspirer d'autres solutions face à la tragédie de la déforestation de la déforestation et urgence climatique.

J'ai fait les introductions et j'ai contribué aux dialogues initiaux parmi eux, et bientôt les deux ont échangé des messages et se sont donné rendez-vous au village sacré des Yawanawa.

Le voyage a finalement été reporté à la demande du chef, car Nixiwaka devait soutenir une diète sacrée dans une retraite, comme on appelle la réclusion spirituelle, dirigée par sa femme et chamane Putanny. Le journaliste a modifié son itinéraire pour s'adapter à la demande : avant de se rendre à Acre, il s'est rendu dans la vallée du Javari en compagnie de l'indigéniste Bruno Pereira pour documenter une autre histoire de résistance indigène. La suite est tragique : ils ont été sauvagement assassinés le 5 juin 2022.

Avec le soutien de l'Amazon Rainforest Journalism Fund et du Centre Pulitzer, et en partenariat avec le reporter Eliezer Budasoff, du podcast Radio Ambulante, je me suis rendu dans le territoire Terre Indigène Rio Gregório, dans l'état de l’Acre pour, dans une certaine mesure, achever la mission de Dom.

L'interview est d'abord devenue le témoignage de Nixiwaka, car le déroulement ultérieur aurait évidemment beaucoup de différences entre mes intérêts et l'extraordinaire capacité de Phillips à extraire le meilleur de ses interviewés, avec le respect et l'attention qui le caractérisaient.

Je n'ai pas le talent journalistique de mon ami anglais. La conversation qui suit représente malgré tout l'occasion pour le chef, de dire ce qu'il aurait voulu dire au journaliste. C'est aussi un simple hommage à Dom Phillips et à l'indigéniste Bruno Pereira, dont on espère qu'ils ne soient pas morts en vain.


Felipe Milanez : Que diriez-vous à Dom Phillips ?

Biraci Nixiwaka : Vous, cher Felipe, êtes celui qui a suivi ma vie de plus près, à travers les archives, l'histoire de ma participation au mouvement indigène brésilien, la lutte pour nos droits, pour la démarcation de nos terres, pour le renforcement de nos organisations locales, de base, de nos villages, de nos communautés. La société blanche nous affaiblit lorsqu'elle nous divise. Mon souci a toujours été de renforcer notre maison, de maintenir notre unité interne afin que nous puissions relever les défis collectivement. On nous accuse de freiner le développement économique, on nous dit qu'il faut exploiter nos terres, comme celles des Yanomami, très riches en minerais. Et aussi d'installer des fermes pour dévaster la forêt, élever du bétail et planter du soja.

Mais nous savons que ce système a échoué. Il n'a pas apporté de bien social à l'humanité. Au contraire, il a engendré la violence, les guerres, le réchauffement climatique et la pauvreté. De plus en plus de gens souffrent de la faim. Comment peuvent-ils dire que nous sommes rétrogrades alors qu'ils détruisent de plus en plus la société elle-même ? Ils ne me convainquent pas. Nous savons que préserver nos forêts, les maintenir debout, c'est prendre soin d'un patrimoine commun de l'humanité. Pas seulement l'Amazonie, pas seulement les peuples indigènes. C'est une responsabilité mondiale.

Nous sommes devenus des victimes parce que nous n'acceptons pas l'exploitation de l'Amazonie. Nous essayons de la dénoncer, nous essayons d'en parler au monde, mais nous n'avons pas d'espace. Lorsque nous le faisons, nous sommes menacés. Mais nous devons construire quelque chose de parallèle à ce système, sans exclure l'autre. Il est possible d'utiliser la technologie et de participer à l'économie tout en préservant la forêt, notre culture et la richesse de l'humanité. Je pense que nous devons avoir un modèle pour vivre en Amazonie sans la détruire, et nous sommes un exemple : nous vivons en Amazonie depuis des milliers d'années et nous sommes là, vivant en paix. Nous sommes ici, nous mangeons, nous buvons, nous sommes heureux. Pourquoi le monde ne pourrait-il pas vivre ainsi?

Pour ma part, je suis très confiant dans ce que nous faisons. Nous sommes les seuls sur la planète à connaître le langage de la nature, des oiseaux, des arbres et des poissons. Chaque mouvement de l'étoile, du vent, du soleil, de la lune, des étoiles : nous connaissons cette famille. Nous connaissons les plantes médicinales, les plantes sacrées. Nous connaissons les noms de ces plantes. Nous communiquons avec leur monde spirituel. Nous pouvons traduire cela pour l'humanité. Mais comment pouvons-nous le faire si nous sommes exclus du système ? Si nous sommes méprisés au sein de la société humaine ? C'est une perte de connaissances scientifiques anciennes que l'humanité doit connaître. C'est plus ou moins ce que j'allais lui dire, à Dom.

FM : Au cours de nos conversations, vous avez dit que l'Amazonie était le cœur de la planète. Pourquoi pensez-vous que l'Amazonie est le cœur de la planète?

BN : L'Amazonie a encore beaucoup de secrets. Nous avons des plantes qui peuvent guérir et que la science n'a pas encore découvertes. Qui sait et qui a détecté ces connaissances ? Nous, les peuples indigènes, les peuples originels. À qui allons-nous parler ? Avec quelle sécurité ? Avec quelle reconnaissance ? L'Amazonie séquestre le carbone, nettoie la pollution. C'est vraiment le cœur du monde et nous, peuples indigènes, pouvons beaucoup aider l'humanité. Mais nous sommes exclus, isolés, abandonnés. Nous ne sommes pas invités dignement à un débat, à une discussion sur le nouvel ordre mondial. Les gens ne se rendent pas compte que ces plantes sacrées peuvent remplir nos cœurs de sagesse, nous montrer la voie vers une nouvelle économie, une nouvelle science, une nouvelle technologie, dans le respect de l'environnement.

Tout comme les chrétiens ont la Sainte Bible et les musulmans le Coran, nous, peuples indigènes, avons la forêt. Je sais comment la lire, arbre par arbre, et à quoi elle sert. Nous n'avons pas besoin de l'emmener au laboratoire. Nous n'avons pas besoin de perdre du temps, de dépenser des millions de dollars en recherche, parce que mon peuple le fait depuis des milliers d'années. Mais comment allons-nous parler si nous ne sommes pas acceptés dans la société, si nous ne sommes pas invités, si nous ne sommes pas respectés en tant que gardiens de ce savoir ancestral ?

FM : Vous parlez d'exclusion, de non-reconnaissance et de classification sociale, qui sont des continuités du système colonial d'exploitation et des formes d'expression du racisme au Brésil. Il y a 41 ans, en tant que jeune leader, vous avez participé à une expédition ici même, qui réunissait une équipe de la FUNAI, de la Commission Pro-Indienne et du Conseil Missionnaire Indigène (CIMI), et c'était la première fois que le peuple Yawanawa recevait des agents de l'Ėtat brésilien pour reconnaître son territoire après une longue lutte. Cette expédition a trouvé les chamans exclus par les missionnaires évangéliques et réduits en esclavage dans le système des plantations de caoutchouc.

À cause des activités prosélytes de la mission nord-américaine, vous n'aviez pratiqué aucun rituel pendant neuf ans, vous n'aviez pas dansé, vous n'aviez pas chanté, vous n'aviez pas bu le thé sacré. Et cela a conduit, dans un mouvement mené par vous, à l'expulsion de la New Tribes Mission in Brazil du territoire Yawanawa en 1987. Des années plus tard, en 2019, au cours de la première année du gouvernement Bolsonaro, la FUNAI a démis Bruno Pereira de ses fonctions de coordinateur général des Indiens isolés et récemment contactés et, à sa place, le président de l'époque, Jair Messias Bolsonaro, a nommé un agent missionnaire de Novas Tribos do Brasil à la tête de ce poste stratégique. Exclu de la FUNAI en raison de la mission, Bruno Pereira a poursuivi son travail avec le mouvement indigène dans la vallée du Javari.

Cette action du gouvernement de Bolsonaro, allié à la mission évangélique, a laissé Bruno dans une situation de vulnérabilité, exposé à des risques, ce qui a conduit à son assassinat et à celui de Dom. Si dans les années 1970 et 1980, la Mission des Nouvelles Tribus était alliée aux militaires, avec Bolsonaro, la Mission est alliée aux ruralistes pour attaquer les droits des indigènes. Si, par le passé, la Mission vous a persécuté, vous a dénoncé aux agents de la dictature comme un "subversif" et a encouragé la persécution contre vous, au cours des 40 années qui se sont écoulées depuis l'expédition de 1982 qui a conduit à la démarcation des terres indigènes et à l'expulsion des missionnaires évangéliques, qu'est-ce qui a changé dans la lutte pour se libérer de la mission ? Pourquoi cette mission était-elle considérée comme oppressive ? Ces missions ont-elles contribué d'une manière ou d'une autre aux assassinats de Dom et Bruno ?

BN : Notre premier contact avec le patron du caoutchouc, ici même, a eu lieu au 19e siècle. Ils ont fait venir des prêtres, ont baptisé mon peuple, mes grands-parents. Mais leur intérêt était d'extraire le latex, le caoutchouc. Ils ne se préoccupaient pas de notre culture ou de notre spiritualité. Ils voulaient de la main-d'œuvre. Nous avons continué à travailler comme des semi-esclaves, mais nous avions la liberté de parler notre langue, de pratiquer notre culture et notre spiritualité.

La période la plus difficile a commencé avec les Nouvelles Tribus, une mission protestante. La mission protestante est aussi malveillante que les mineurs, les bûcherons, voire pire. Ils sont venus avec l'appui du système et, au nom de la religion, au nom de leur Dieu, au nom de la paix, ils ont apporté le mensonge et la fausseté. Ils ont utilisé le sacré pour convaincre notre peuple d'exterminer notre culture et notre savoir et ainsi dominer notre langue, interdire notre langue. Pour eux, notre culture, nos coutumes et notre spiritualité étaient diaboliques, des choses du diable. Nous ne savions pas qu'il y avait un Dieu. Nous ne savions pas que le Diable existait. Nous ne savions pas que le Paradis ou l'Enfer existaient. Nous savions que le divin existait et que la forêt était notre maison.

FM : Lorsque Dom et Bruno ont été assassinés, Jair Bolsonaro, alors président, a qualifié leur travail d'aventure.

BN : Quand Bolsonaro a été élu au Brésil, je n'ai même pas pu luiun mot à cet homme psychopathe, fou, irresponsable. C'est mal de parler de lui. Je veux désormais rêver et renforcer le nouveau gouvernement. Que le gouvernement de Lula prépare le nouveau leader spirituel ou le nouveau leader politique. Nous vivons sous une très forte pression pour survivre, en raison des difficultés créées par le gouvernement précédent. Nous ne pouvons pas espérer grand-chose maintenant, mais j'espère que Lula sera en mesure de préparer le prochain gouvernement avec un esprit ouvert sur l'importance de la préservation des forêts et des peuples indigènes.

Le Brésil est l'une des plus grandes puissances mondiales en matière de ressources naturelles. Nous possédons le plus grand bassin fluvial et la plus grande forêt tropicale. Nous avons besoin de quelqu'un d'intelligent, de spirituel et d'honnête. Nous pouvons être un exemple pour l'humanité et devenir une économie durable. Nous rêvons d'un jour nouveau. Je n'ai pas perdu espoir et je pense que ce jour viendra. J'espère que le Brésil sera un exemple à suivre pour le monde entier en matière d'économie durable et de protection de l'Amazonie. Je suis heureux d'être brésilien, d'être un fils de l'Amazonie. Nous aimons cet endroit. Le Créateur divin est ici dans ce vent qui souffle, dans cette forêt qui se dresse, dans cette rivière propre qui coule. Nous devons protéger la nature pour que les générations futures de l'humanité aient aussi le privilège de voir ce que nous voyons.

FM : Selon les géologues, nous vivons à l'ère de l'Anthropocène, marquée par les effets de l'intervention humaine sur l'environnement et les émissions de gaz à l'origine du réchauffement climatique. Que pensez-vous de cette théorie ?

BN : Je n'ai pas bien compris la question, je ne connais pas le mot Anthropocène. Je sais seulement une chose : le système que l'homme occidental a développé est en train de se décomposer. Par sa nature même, par son destin même, il est à sa fin. Si nous insistons, nous déclarerons la fin de l'humanité. Je ne suis pas un voyant, je ne suis pas un chaman, je ne suis pas un maître. Je suis un être humain Yawanawa, un leader, un enfant des plantes, un enfant de la nature. Je le sens dans mon cœur, nous devons revoir nos concepts. C'est le temps de la spiritualité. Chaque insecte, chaque animal qui disparaît de la Terre entraîne davantage de maladies. Les esprits des animaux sont détruits et cherchent un corps. Où vont-ils se loger ? Dans le corps humain. Par conséquent, de nouvelles maladies apparaîtront. Il faut mettre fin à l'agression environnementale. L'homme occidental a oublié le Créateur divin et lui a tourné le dos par son avidité, son ambition et sa vanité. Arrêtez, car si vous ne le faites pas, nous verrons notre fin.

FM : Nous sommes sur les rives du fleuve Gregório. Quelle est son importance dans la vie des Yawanawa ?

BN : Je ne trouve pas de mot exact pour traduire ce que cela signifie pour notre monde spirituel, pour notre culture. La rivière est notre corps. L'eau est notre corps. Nous sommes l'eau. Nous sommes la terre. Nous sommes la forêt. La somme de toute la nature devient un être humain. Il y a de grands guides ici, les anacondas, les esprits... La plupart d'entre eux sont dans l'eau. Les grands êtres spirituels se trouvent dans les puits des rivières. L'eau n'étanche pas seulement notre soif, mais aussi nos âmes, nos esprits. Combien d'histoires ai-je de ma civilisation sur les rives de ce fleuve, si ancien dans la création du monde. Ce fleuve est un cadeau divin, avec de nombreuses plages, si doux et pourtant si gigantesque, violent, avec des crues énormes en hiver et des eaux transparentes en été.

FM : Comment appelez-vous le Gregório ?

BN : Le fleuve a deux noms. Le premier est Yuraia, un fleuve qui a des habitants, un fleuve que les êtres humains habitent. L'autre est wakawã. C'est le fleuve qui contient le plus grand volume d'eau de notre création.

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